- 14 Décembre 2016
- 5 837
- 6 191
- Localité
- Paris
- Véhicule
- Toyota Prius 4
Le système opaque et dangereux des taxis parisiens fait froid dans le dos. C'est la fin du mythe des taxis angéliques et des VTC fraudeurs.
Il y a des gestes qu’on fait machinalement, sans toujours bien être conscients qu’ils sont dangereux. Pour la cigarette, je le sais, c’est marqué dessus. Mais je viens de me rendre compte que prendre un taxi n’est clairement pas sans risques non plus.
Le geste est anodin : on clique, un taxi arrive, il annonce qu’il ne prend pas la carte bleue en guise de bonjour. Normalement, c’est interdit depuis la loi Grandguillaume, mais qui se soucie des lois qui empêchent de faire ce qu’on veut, hein?
Si le taxi est d’humeur causante, il râle contre la mairie de Paris, qui l’empêche de foncer dans les rues avec ses travaux, et puis contre Uber. Contre les VTC qui seraient « des fraudeurs », « des dangers publics » et j’en passe. Alors que lui, le taxi, il a payé sa plaque (techniquement son Autorisation de Stationnement), et plutôt cher si on veut bien le croire. Et puis lui le taxi, il paye ses charges. Il respecte les règles, il a eu un diplôme « vachement dur ». A ce stade, ce n’est pas trop le moment de lui rappeler qu’il ne prend pas la carte bleue. De toute façon il ne vaut mieux pas l’énerver.
Parce que s’il s’énerve, je risque bien plus qu’une bonne engueulade. l’accident.
Alors je me suis demandé quelles étaient véritablement les différences entre les taxis et les VTC, partant du principe que les taxis étaient soumis à beaucoup de contraintes et que les VTC faisaient à peu près ce qu’ils voulaient.
La première chose,
c’est la plaque, la licence, l’ADS des taxis. Elle vaut de moins en moins cher, elle est même distribuée gratuitement depuis 2014. Et elle permet de circuler, de stationner et de prendre des clients à la volée. C’est grâce à cette plaque que je peux lever la main et avoir un taxi sans passer par une appli. C’est la plaque qui donne le droit aux taxis de prendre les couloirs de bus.
Pour les VTC, pas de plaque, pas de couloirs de bus, pas de clients à la volée. Ils ont un macaron obligatoire (rouge et autocollant, qui devrait être collé à l’avant et à l’arrière). Le macaron leur permet de circuler et de travailler. Point.
La deuxième chose,
c’est l’examen. Obligatoire pour conduire un taxi ou un VTC, il a été simplifié pour les taxis, pour être juste un peu plus dur que celui des VTC. Mais ces derniers ont bénéficié d’une facilité : si vous pouvez justifier d’un an de conduite professionnelle sur les 10 dernières années, alors vous êtes VTC (même si vous ne connaissez rien aux règles de la profession).
Pour les taxis, depuis le GPS et les applis, l’examen ne comprend plus une connaissance pointue des rues de Paris, comme avant. C’est la fin des chemins des taxis… au profit des chemins des applis. Le progrès contre le charme des secrets d’une profession…
La dernière chose,
c’est le véhicule. Pas énormément de différences entre les VTC et les taxis. La puissance est à peu près équivalente, il faut au moins conduire une berline. Et puis un contrôle technique à jour, un peu plus exigeant pour les taxis comme toujours.
Donc en théorie, les choses sont claires. Les taxis ont plus de droits, parce qu’on attend d’eux un respect de règles plus contraignantes. Mais en pratique, la vérité est bien moins reluisante.
Sur 18000 taxis parisiens, au moins 10% sont dans l’illégalité la plus totale, au détriment de la sécurité des clients.
Comment en suis-je arrivé à la conclusion dramatique que prendre un taxi c’est comme jouer à la roulette russe? En ayant un accident tout simplement. 9 heures du matin place de la République, mon chauffeur de taxi part à l’assaut de la circulation, pas bien assuré. Un refus de priorité et son aile en prend un sacré coup. Logiquement, il s’énerve, hurle, sort de la voiture, avec échange viril en prime, mais au moment de faire un constat, il repart en trombe, avec moi un peu paniqué à l’arrière, et l’autre conducteur encore stupéfait.
Pas de constat, pas d’assureur. Je lui signale, et c’est moi qui devient l’objet de sa colère. Je passe les noms d’oiseau, je retiens seulement « vous n’avez qu’à prendre des UBER, comme tous les rats ». Je préfère sortir au premier feu rouge, lui laissant la course minimum plutôt que poursuivre. J’ai eu le temps de prendre son numéro sur l’affichette à l’arrière et vais écrire à la préfecture.
Mais avant, je me renseigne un peu. Pourquoi un taxi avec plaque et diplôme prend le risque d’un « hit and run »? Le policier de la brigade spécialisée, appelée les BOERS (1) que j’ai pu interroger a une explication. Selon le major Henri (le prénom a été changé), le chauffeur était propriétaire de son véhicule, mais pas de sa plaque, qu’il loue. A priori rien d’anormal, mais là où le bât blesse, c’est que c’est parfaitement interdit.
Depuis 2014 et la loi Thévenoud (2), on peut soit faire le taxi avec sa plaque et son véhicule, soit louer plaque et véhicule ensemble. Pas faire un peu des deux.
Les conséquences de ces taxis « à la carte »?
En un, le titulaire de la plaque touche une rente en la louant. Et comme c’est hors la loi, le plus souvent il se fait payer en liquide. Donc, il tire des revenus non déclarés d’une autorisation administrative. Voilà la fameuse rente des taxis. Un peu comme si un patron de café louait sa terrasse et uniquement sa terrasse à un gérant, en liquide, et continuait à faire tourner son café l’air de rien. Choquant non?
En deux, la voiture « taxi » appartient à son chauffeur, elle n’existe pas vraiment. Elle n’a pas le droit de passer au contrôle technique poussé des taxis, elle ne peut pas être assurée de façon régulière. Même si les compagnies d’assurance perçoivent bien les primes et font des contrats aux chauffeurs sans jamais leur préciser qu’ils ne sont pas vraiment couverts.
Donc en tant que client, j’ai environ une chance sur 10 de prendre un taxi pas contrôlé et mal assuré.
Rien de plus opaque que les taxis parisiens
Pour arriver à ce système « gris », le brigadier Henri me signale le tour de passe-passe : le rentier (qui « possède » la plaque) déclare le véhicule comme le sien sur la carte grise. Et il rajoute le nom du véritable propriétaire. A vue d’oeil, l’illusion est parfaite!
J’ai quand même déposé ma plainte, sans grande conviction. Pour en avoir parlé avec un autre chauffeur de taxi (je suis récidiviste), il n’y a pas beaucoup de chance qu’elle aboutisse : avec tout ce qui se passe à Paris, la préfecture n’a pas trop les moyens de tout contrôler, et puis le système est tellement généralisé (et normal si j’en crois mon chauffeur) que personne ne veut s’y attaquer.
Si personne ne contrôle ce système qui joue avec la loi et la sécurité, si ma centrale de réservation favorite ne me garantit pas un trajet sans risque, j’ai du mal à croire que nos chers taxis parisiens sont vraiment différents des UBER et consorts : ils partagent la même difficulté à respecter les règles.
Entre le métro et ses micro-particules, les trottinettes kamikazes, les vélos crevés, les VTC et les taxis qui rivalisent d’ingéniosité pour frauder, je me dis qu’en attendant les taxis autonomes je vais prendre le bus. Ah, il est bloqué par un taxi et un VTC qui se sont rentrés dedans dans la voie de bus…
https://blogs.mediapart.fr/guillaum...edium=social&utm_campaign=Sharing&xtor=CS3-67
Il y a des gestes qu’on fait machinalement, sans toujours bien être conscients qu’ils sont dangereux. Pour la cigarette, je le sais, c’est marqué dessus. Mais je viens de me rendre compte que prendre un taxi n’est clairement pas sans risques non plus.
Le geste est anodin : on clique, un taxi arrive, il annonce qu’il ne prend pas la carte bleue en guise de bonjour. Normalement, c’est interdit depuis la loi Grandguillaume, mais qui se soucie des lois qui empêchent de faire ce qu’on veut, hein?
Si le taxi est d’humeur causante, il râle contre la mairie de Paris, qui l’empêche de foncer dans les rues avec ses travaux, et puis contre Uber. Contre les VTC qui seraient « des fraudeurs », « des dangers publics » et j’en passe. Alors que lui, le taxi, il a payé sa plaque (techniquement son Autorisation de Stationnement), et plutôt cher si on veut bien le croire. Et puis lui le taxi, il paye ses charges. Il respecte les règles, il a eu un diplôme « vachement dur ». A ce stade, ce n’est pas trop le moment de lui rappeler qu’il ne prend pas la carte bleue. De toute façon il ne vaut mieux pas l’énerver.
Parce que s’il s’énerve, je risque bien plus qu’une bonne engueulade. l’accident.
Alors je me suis demandé quelles étaient véritablement les différences entre les taxis et les VTC, partant du principe que les taxis étaient soumis à beaucoup de contraintes et que les VTC faisaient à peu près ce qu’ils voulaient.
La première chose,
c’est la plaque, la licence, l’ADS des taxis. Elle vaut de moins en moins cher, elle est même distribuée gratuitement depuis 2014. Et elle permet de circuler, de stationner et de prendre des clients à la volée. C’est grâce à cette plaque que je peux lever la main et avoir un taxi sans passer par une appli. C’est la plaque qui donne le droit aux taxis de prendre les couloirs de bus.
Pour les VTC, pas de plaque, pas de couloirs de bus, pas de clients à la volée. Ils ont un macaron obligatoire (rouge et autocollant, qui devrait être collé à l’avant et à l’arrière). Le macaron leur permet de circuler et de travailler. Point.
La deuxième chose,
c’est l’examen. Obligatoire pour conduire un taxi ou un VTC, il a été simplifié pour les taxis, pour être juste un peu plus dur que celui des VTC. Mais ces derniers ont bénéficié d’une facilité : si vous pouvez justifier d’un an de conduite professionnelle sur les 10 dernières années, alors vous êtes VTC (même si vous ne connaissez rien aux règles de la profession).
Pour les taxis, depuis le GPS et les applis, l’examen ne comprend plus une connaissance pointue des rues de Paris, comme avant. C’est la fin des chemins des taxis… au profit des chemins des applis. Le progrès contre le charme des secrets d’une profession…
La dernière chose,
c’est le véhicule. Pas énormément de différences entre les VTC et les taxis. La puissance est à peu près équivalente, il faut au moins conduire une berline. Et puis un contrôle technique à jour, un peu plus exigeant pour les taxis comme toujours.
Donc en théorie, les choses sont claires. Les taxis ont plus de droits, parce qu’on attend d’eux un respect de règles plus contraignantes. Mais en pratique, la vérité est bien moins reluisante.
Sur 18000 taxis parisiens, au moins 10% sont dans l’illégalité la plus totale, au détriment de la sécurité des clients.
Comment en suis-je arrivé à la conclusion dramatique que prendre un taxi c’est comme jouer à la roulette russe? En ayant un accident tout simplement. 9 heures du matin place de la République, mon chauffeur de taxi part à l’assaut de la circulation, pas bien assuré. Un refus de priorité et son aile en prend un sacré coup. Logiquement, il s’énerve, hurle, sort de la voiture, avec échange viril en prime, mais au moment de faire un constat, il repart en trombe, avec moi un peu paniqué à l’arrière, et l’autre conducteur encore stupéfait.
Pas de constat, pas d’assureur. Je lui signale, et c’est moi qui devient l’objet de sa colère. Je passe les noms d’oiseau, je retiens seulement « vous n’avez qu’à prendre des UBER, comme tous les rats ». Je préfère sortir au premier feu rouge, lui laissant la course minimum plutôt que poursuivre. J’ai eu le temps de prendre son numéro sur l’affichette à l’arrière et vais écrire à la préfecture.
Mais avant, je me renseigne un peu. Pourquoi un taxi avec plaque et diplôme prend le risque d’un « hit and run »? Le policier de la brigade spécialisée, appelée les BOERS (1) que j’ai pu interroger a une explication. Selon le major Henri (le prénom a été changé), le chauffeur était propriétaire de son véhicule, mais pas de sa plaque, qu’il loue. A priori rien d’anormal, mais là où le bât blesse, c’est que c’est parfaitement interdit.
Depuis 2014 et la loi Thévenoud (2), on peut soit faire le taxi avec sa plaque et son véhicule, soit louer plaque et véhicule ensemble. Pas faire un peu des deux.
Les conséquences de ces taxis « à la carte »?
En un, le titulaire de la plaque touche une rente en la louant. Et comme c’est hors la loi, le plus souvent il se fait payer en liquide. Donc, il tire des revenus non déclarés d’une autorisation administrative. Voilà la fameuse rente des taxis. Un peu comme si un patron de café louait sa terrasse et uniquement sa terrasse à un gérant, en liquide, et continuait à faire tourner son café l’air de rien. Choquant non?
En deux, la voiture « taxi » appartient à son chauffeur, elle n’existe pas vraiment. Elle n’a pas le droit de passer au contrôle technique poussé des taxis, elle ne peut pas être assurée de façon régulière. Même si les compagnies d’assurance perçoivent bien les primes et font des contrats aux chauffeurs sans jamais leur préciser qu’ils ne sont pas vraiment couverts.
Donc en tant que client, j’ai environ une chance sur 10 de prendre un taxi pas contrôlé et mal assuré.
Rien de plus opaque que les taxis parisiens
Pour arriver à ce système « gris », le brigadier Henri me signale le tour de passe-passe : le rentier (qui « possède » la plaque) déclare le véhicule comme le sien sur la carte grise. Et il rajoute le nom du véritable propriétaire. A vue d’oeil, l’illusion est parfaite!
J’ai quand même déposé ma plainte, sans grande conviction. Pour en avoir parlé avec un autre chauffeur de taxi (je suis récidiviste), il n’y a pas beaucoup de chance qu’elle aboutisse : avec tout ce qui se passe à Paris, la préfecture n’a pas trop les moyens de tout contrôler, et puis le système est tellement généralisé (et normal si j’en crois mon chauffeur) que personne ne veut s’y attaquer.
Si personne ne contrôle ce système qui joue avec la loi et la sécurité, si ma centrale de réservation favorite ne me garantit pas un trajet sans risque, j’ai du mal à croire que nos chers taxis parisiens sont vraiment différents des UBER et consorts : ils partagent la même difficulté à respecter les règles.
Entre le métro et ses micro-particules, les trottinettes kamikazes, les vélos crevés, les VTC et les taxis qui rivalisent d’ingéniosité pour frauder, je me dis qu’en attendant les taxis autonomes je vais prendre le bus. Ah, il est bloqué par un taxi et un VTC qui se sont rentrés dedans dans la voie de bus…
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